Rédigé par Nasira Benioual/      Journalardbladi

  Extrait de mon livre

 “Mémoire d’une femme oujdie” – partie 1 :

   “Mes souvenirs d’enfance”

Dans ce livre, je plonge au cœur de mes souvenirs, revivant les jours d’enfance à Oujda, où des instants apparemment simples mais riches en expériences et en significations ont contribué à façonner mon identité. À travers ces pages, je mets en lumière une enfance marquée par des transformations sociales et culturelles profondes, laissant une empreinte indélébile dans ma mémoire. Ce livre, premier volet d’un voyage à travers ma vie, raconte les évolutions que j’ai vécues, de l’enfance à la jeunesse, puis à l’âge adulte, tout en explorant les impacts qui ont touché chaque étape de mon parcours.

Dans le cinquième chapitre, je revis une partie de mes souvenirs liés au hammam traditionnel de ma ville, un lieu qui faisait partie intégrante de mon quotidien d’enfant. Ce chapitre ouvre une fenêtre sur des moments riches d’expériences personnelles, qui ont contribué à la formation de ma personnalité et à la façon dont j’ai perçu mon petit monde…

Le Hammam traditionnel dans ma mémoire

Le Hammam et la femme oujdie : entre rituels et inégalités sociales

Le bain traditionnel, cet héritage culturel populaire, n’était pas seulement un lieu de purification, mais aussi un prolongement de la vie des femmes hors des murs de leurs foyers. C’était un espace où les traditions se rencontraient avec les inégalités sociales, où l’intimité se mêlait à la discipline. Entre les murs imprégnés de la fragrance du bois de santal, du savon noir, du henné et du basilic, et sous le voile de vapeur dense, des histoires se tissaient, et l’endroit devenait témoin de moments de confession, mais aussi de silence retenu.

 L’organisation stricte selon le genre

Dans ma mémoire, le Hammam ” Albal3ouchi” avec sa grande porte en bois, ressemblant à celle d’un ancien palais, comme d’autres bains de ma ville, était géré selon un système strict : le jour pour les femmes et la nuit pour les hommes. À l’heure du changement, un coup frappé à la porte annonçait de manière officielle la fin du temps des femmes, signalant le début du temps des hommes. À ce moment-là, les Tayabattesservantes“, ces femmes chargées de maintenir l’ordre intérieur, s’assuraient de faire sortir les retardataires avec fermeté. Le système n’admettait aucune négligence ; chaque moment avait son rythme, et chaque espace son occupant.

À l’intérieur, le temps semblait suivre un rythme à part. Le bain offrait aux femmes un espace, bien qu’éphémère, de respiration loin des regards de la société, mais ce n’était pas une véritable liberté, c’était une liberté conditionnée.

  Le Hammam : entre rituels et inégalités   sociales

Cependant, toutes les femmes ne vivaient pas l’expérience du bain de la même manière. L’espace était divisé en sections de températures variées, du modéré au très chaud. Au centre se trouvait   “la Barma“, où l’eau froide et chaude se rencontraient. Les femmes issues des classes plus aisées, ou celles recherchant un soin particulier, étaient traitées comme des princesses. Elles bénéficiaient d’une attention spéciale de la part des “servantes ” “Tayabattes”, et pouvaient choisir un espace privilégié “Al3ada”où elles recevaient des soins dédiés, tandis que les autres, sans ces privilèges, se limitaient aux rituels traditionnels et se servaient elles-mêmes.

 La femme oujdie au Hammam : entre confession et retenue

Le bain n’était pas seulement un lieu de soin corporel, mais aussi un espace d’échange d’histoires. Certaines femmes y trouvaient un lieu de confession totale, où elles parlaient de leurs vies, parfois avec des inconnues, de leurs difficultés familiales, de leurs joies et de leurs peines. La vapeur semblait dissoudre les barrières sociales entre elles. Tandis que d’autres préféraient garder leurs distances, ne participant qu’aux rituels de purification et quittant les lieux sans tarder. Entre ces deux attitudes, il y avait celles qui cherchaient à défier les règles, brisant le système social. Elles refusaient de se soumettre aux contraintes du temps, ce qui provoquait parfois des tensions, comme une recherche incessante d’évasion dans un monde où les traditions imposaient des limites strictes.

 Le moment de la sortie : entre beauté et  surveillance sociale

Le moment de la sortie du bain était en soi un rituel chargé de significations sociales. La femme oujdie ne sortait pas seulement avec une peau rosée et un éclat dû à la chaleur et aux soins, mais elle portait aussi une forme de beauté qui allait au-delà de l’apparence physique. Elle se drapait dans le “Haïk” blanc qui dissimulait la Robe “Blousa Oujdie ” brodée qui mettait en valeur sa féminité. Et cela, tout en respectant les coutumes, consciente que tout retard ou geste hors de l’ordinaire serait scruté et interprété. La femme oujdie savait que la surveillance sociale ne dormait jamais, et que les regards des autres n’étaient pas toujours anodins. C’est pourquoi ses pas étaient mesurés, ni lourds ni trop rapides, mais calculés, équilibrant dignité et conformité. Cette modestie n’était pas un signe de faiblesse, mais le reflet d’une force intérieure, d’une conscience profonde que la société imposait des critères de comportement stricts, et qu’en les franchissant, même sans intention, on risquait d’ouvrir la porte aux commérages.

 Le Hammam : une philosophie de vie

Le bain, pour chaque femme, était un mode de vie, une philosophie qui reflétait sa personnalité, sa vérité, ses aspirations et ses rébellions. À l’intérieur de ces murs emplis de vapeur, chaque femme pratiquait ses propres rituels, incarnant ainsi son approche de la vie. Le bain résumait son rapport aux traditions et son désir d’émancipation…

 L’intégration de la femme et de l’homme dans la société

Et malgré cette surveillance stricte, l’homme oujdi n’était pas perçu comme un adversaire, mais comme un protecteur, qu’il soit père, frère ou mari… Sa présence à l’extérieur n’était pas une menace, mais faisait partie intégrante de la structure sociale, une équation qui garantissait l’équilibre. Le bain était une mini-société en soi, où la liberté se mêlait aux contraintes, où le confort se confrontait à la surveillance, et où les traditions se heurtaient au désir latent de s’envoler.

 Le Hammam : un héritage intemporel

Le bain traditionnel est resté plus qu’un simple lieu ; il a été le symbole de la vie de la femme oujdie, une vie dans laquelle elle cherchait à respirer dans des limites tracées, à trouver l’équilibre entre son identité et la lourdeur des traditions. Et entre ses murs, un conflit silencieux mais profond existait, entre la liberté à l’intérieur et la surveillance sociale à l’extérieur. Entre le jour qu’on lui attribuait et la nuit qu’elle savait ne pas être la sienne, entre les contraintes imposées par les mœurs et celles dictées par des désirs enfouis…

          L’ écrivaine Nasira Benioual